Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints
La Parole de Dieu qui a été proclamée nous aide à saisir le cœur de l’expérience humaine et chrétienne de la bienheureuse Clélia Merloni, en soulignant les éléments essentiels de sa « physionomie » spirituelle. C’est le visage d’une femme dont l’existence a été marquée de manière impressionnante par des souffrances et des tribulations : la croix a été le sceau de toute sa vie ! Mais son regard, surtout à l’heure de l’épreuve, était toujours tourné vers Dieu.
L’apôtre Paul, dans la deuxième lecture, s’adresse aux chrétiens de Corinthe en indiquant la charité comme la « voie la plus sublime » pour atteindre les plus grands charismes (cf. 1Cor 12,31), et déclare : « La charité est magnanime, bienveillante, elle n’est pas envieuse, […] elle ne s’irrite pas, elle ne tient pas compte du mal […]. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout !» (1 Co 13,4-7). Pour sa part, l’évangéliste Luc met sur la bouche de Jésus ces mots : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissez » (Lc 6,27).
Ces exhortations semblent trouver une nouvelle actualité dans la vie de Mère Clélia, qui les a rendues siennes de manière radicale, surtout lorsqu’elle a été frappée par des calomnies qui ont conduit à sa destitution du gouvernement puis même à son éloignement de l’Institut qu’elle a fondé. C’était la période de son calvaire. Une épreuve personnelle dure et épuisante, faite de solitude et d’isolement, d’affaiblissement de la santé et de difficultés, à la limite du désespoir. C’était le moment de la rencontre avec son époux, Jésus crucifié. En effet, comment ne pas la voir assimilée à Celui qui, sur la croix, a subi l’abandon, le mépris, l’ignominie, l’échec, le dépouillement de toute dignité humaine ? À l’exemple de Marie qui est restée immobile et inébranlable au pied de la Croix, la Bienheureuse Clélia n’a pas douté de sa foi en Dieu, en Celui qui n’abandonne jamais ses enfants en toutes péripéties de vie, surtout dans les heures de douleurs, souvent inextricables à comprendre et difficiles à accepter.
Elle a partagé la blessure du cœur de Jésus, répondant aux hostilités et au mépris par la charité. Elle déposait toute contrariété au pied du tabernacle : c’était là son point d’appui. Devant le Cœur de Jésus, elle reconnaissait sa volonté de réconciliation avec tous, trouvant la force de pardonner à ceux qui la persécutaient. Bien qu’ayant un caractère fort, elle a fait preuve d’une tendresse extraordinaire pour oublier les offenses subies, témoignant ainsi du pouvoir victorieux de la charité, qui ne se fâche pas, qui ne tient pas compte du mal reçu, qui excuse tout, supporte tout. Elle n’a jamais parlé pour créer des dommages à qui que ce soit, même à celles surtout qui, au sein de sa Congrégation, lui étaient hostiles ; elle embrassait les souffrances, les offrait au Seigneur et y voyait les différentes facettes de l’Amour de Dieu envers elle.
Ainsi, avec sa vie donnée en oblation totale, elle a été la fondatrice des Apôtres du Sacré-Cœur de Jésus, témoignant dans sa chair le charisme de l’Institut. Ce charisme reste actuel et fascinant : s’offrir totalement et joyeusement au Cœur de Jésus pour être un signe vivant et crédible de l’amour de Dieu pour l’humanité.
Le centre de sa foi a toujours été le Christ, rencontré surtout dans le mystère eucharistique, dans les longues heures passées à la chapelle, même la nuit, bien qu’étant malade. Un témoin raconte : « Après de graves événements, elle s’est réfugiée dans la chapelle et de nombreuses sœurs âgées qui la voyaient rapportent qu’il fallait la secouer avec sa main pour la faire répondre car elle s’enfonçait dans la contemplation de Dieu et y était plongé comme dans une profonde extase » (Informatio, 67).
Cette centralité eucharistique attirait son attention vers le décor de l’autel, des fonctions liturgiques, des églises, pour la solennité des jours de fête, surtout vers les prêtres, les ministres de l’autel, pour lesquels elle priait en particulier pour ceux qui sont en crise.
C’était une religieuse qui ne regardait toujours que Dieu ; sa devise était « Dieu seul ». Dieu avant tout et au-dessus de tout. Il valait la peine Le choisir comme seul Idéal de la vie et de ne faire confiance qu’à Lui. À la lumière des expériences vécues dans sa chair, de l’effondrement de tant de certitudes humaines, mère Clélia recommandait à juste titre à ses sœurs : « Imprime dans ton cœur que Dieu seul est ton seul bien et ton unique refuge ». Toute remplie de Dieu uniquement, elle a goûté à sa présence continue, en vivant plonger dans le surnaturel, au point d’être transformée en « flamme d’amour ».
En effet, la vie de prière contemplative était intense et constante pour la bienheureuse Clélia. Les témoignages s’accordent à affirmer qu’elle priait continuellement, gardant son regard fixé sur Dieu, scrutant sa Parole et tissant sa prière avec toutes ses actions. Sa vie était devenue une vie de prière. Elle était tellement attachée à la prière que l’union intérieure avec Dieu l’a amenée à sauter les repas. « Quand on lui demandait : »Mère, comment vous vivez sans manger ? », elle répondait que son repas était la prière » (Informatio, 35).
Voici encore une autre facette du visage spirituel de la bienheureuse Clélia Merloni. Justement parce qu’elle est une femme toute donnée à Dieu, elle s’est donnée totalement à tous et spécialement aux petits, aux pauvres, aux simples, et à ceux qui sont sans défense. Son amour pour Dieu ne pouvait se refléter ou s’incarner que dans l’amour de l’homme, image vivante et palpitante de Dieu. Son cœur était ouvert à tous, en particulier aux malades et aux souffrants ; elle savait faire sienne le besoin des autres, jusqu’à se priver souvent du nécessaire ; elle faisait toujours preuve d’une tendresse particulière, d’une compassion innée face à toutes sortes de souffrances, et pour y répondre se soumettait à tout inconfort et fatigue, déployant cette soif de charité et de zèle qui brûlait en elle. Dans les œuvres de charité, elle ne connaissait pas de limites et s’appropriait pleinement des problèmes des autres ; ceux qui vivaient à côté d’elle affirment : « En face d’un nécessiteux qu’elle ne pouvait aider, elle se sentait diminuée à cause de la peine ressentie. Face à la charité, elle ne s’attardait pas dans les raisonnements » (Informatio, 53).
Chers frères et sœurs, les saints et les bienheureux sont pour nous des messages vivants et vécus de Dieu. L’Église nous les propose donc comme des exemples à vénérer et à imiter. Ouvrons-nous donc au message que la bienheureuse Clélia Merloni nous transmet si clairement à travers sa vie et ses œuvres. Les souffrances morales ont fait d’elle une femme forte et courageuse qui a su témoigner de l’amour de Jésus en toutes circonstances. Rejoindre le Cœur de Jésus transpercé et vouloir vivre la passion du Christ impliquent la conscience que l’étreinte de la Croix est une condition essentielle pour faire jaillir la vie autour de nous et ne pas laisser la mort l’emporter sur elle, la haine sur l’amour, la division sur la communion. En effet, la Bienheureuse n’a jamais cédé aux outrages et aux calomnies de toutes sortes. Elle y a réagi en répandant l’amour partout, en particulier vers les plus faibles et les plus défavorisés, et en s’efforçant d’aider et d’éduquer les jeunes générations religieuses. Mieux, elle a su partager son désir ardent d’amour pour Dieu et ses frères à d’autres compagnes avec lesquelles elle a commencé de manière originale une expérience de vie religieuse dédiée au Sacré-Cœur, où la prière et la souffrance ont émergé comme éléments essentiels du charisme. Ces dimensions n’ont jamais manqué dans l’existence de la Bienheureuse ; s’y appuyant, elle a fait grandir et gouverner l’Institut, laissant en héritage à l’Église une interprétation plus que jamais actuelle du sens de l’autorité en tant qu’autorité dans le don et l’amour.
Chères Apôtres du Sacré-Cœur de Jésus, aujourd’hui nous nous réjouissons avec vous de voir Mère Clélia inscrite parmi les bienheureux. Nous vous demandons de maintenir vivant son charisme et surtout sa spiritualité oblative, dont le cœur est l’amour qui supporte et pardonne tout. La mission, pour laquelle votre famille religieuse a été fondée, est toujours d’actualité. La devise de votre Institut, Caritas Christi urget nos – l’Amour du Christ nous pousse -, vous engage à faire vôtre ces paroles de Saint Paul, rayonnant d’amour sans arrêt et sans limites.
Demandons au Seigneur que le chemin de sainteté que Mère Clélia Merloni nous a montré avec la vie soutenue par l’amour à la Croix, puisse devenir chaque jour le tracé lumineux et sûr de notre chemin d’amour pour Dieu et pour nos frères.
Répétons ensemble : Bienheureuse Clélia Merloni, priez pour nous !